C'est un homme qui a vécu dans l'ombre de Jean Moulin comme secrétaire particulier. Alors qu'il est issu d'une famille royaliste bordelaise, il s'engage dans la résistance. Sa vie prend alors un tout autre tournant. Son témoignage est à découvrir dimanche 13 mai à 11 h 25 sur notre antenne.
Rien ne prédestinait le jeune Daniel Cordier à vivre une vie aussi mouvementée. A 97 ans, il se plonge dans ses souvenirs toujours vifs, parcours d'un jeune militant maurrassien, monarchiste et antisémite devenu "Français libre" de la première heure. C'est l'un des derniers compagnons de la Libération encore en vie.
Ses premières années se déroulent en Aquitaine. Né à Bordeaux en 1920 dans une famille royaliste, il grandit dans un internat catholique d'Arcachon puis s'installe à Pau avec sa mère remariée là-bas. Une existence privilégiée auprès de sa grand-mère puis sa mère.
Dès le lycée, il est militant d'extrême droite à l'Action française mais, révolté à l’annonce de l’armistice par le maréchal Pétain, il quitte la France car il refuse la défaite.
J'étais à Bescat en Béarn avec ma mère et mon beau-père : nous étions tous les trois devant le poste de radio. J'avais 19 ans. Ce fut le choc de ma vie : je me précipite vers l'escalier et monte vers ma chambre je m'effondre et je pleure...
Puis je me lève d'un bond et je me dis c'est pas possible, cette guerre contre les Allemands il faut la gagner!
Embarqué sur un navire à destination de l'Afrique du Nord, il se retrouve par hasard en Angleterre et s’engage ainsi dans les Forces françaises libres du général De Gaulle dès l’été 1940 où lui et ses camarades rencontrent l'homme de l'appel du 18 juin :
C'était le 6 juillet 1940: il nous dit: 'je ne vous félicite pas d'être venus. Vous n'avez fait que votre devoir' ... Nous n'étions que des adolescents à peine sortis de l'enfance!.
La rencontre de sa vie
Membre des services secrets de la France Libre, il est parachuté en 1942 et rencontre Jean Moulin à Lyon, la rencontre qui bouleverse sa vie :
Quand il m'a embauché comme secrétaire je ne savais pas que c'était Jean Moulin. Pour moi c'était Rex. C'était un homme très élégant et très exigeant. Je relevais le courrier et distribuais les lettres pour les mouvements de la résistance. Je distribuais aussi de l'argent beaucoup d'argent.
La nuit je vidais et décidais les messages. Pour ne pas éveiller les soupçons, il me parlait aussi d'art. Je n'y connaissais rien, il était grand amateur d'art contemporain.
C'est ce qui les réunit au-delà de la guerre et la résistance :
Daniel Cordier entre dans le quotidien et un peu dans la vie de Jean Moulin qu'il côtoie pendant 1 ans, en tant que secrétaire particulier. Il sera son plus proche collaborateur jusqu’au guet-apens de Caluire le 21 juin 1943. Il n'apprendra sa mort que bien plus tard. La suite de sa vie se retrouve guidée par son parcours aux côtés du grand résistant qui lui avait dit lors de ces nombreuses discussions autour de l'art :L'art, c'était notre vie à tous les deux. Il voulait être artiste peintre quand il avait 17 ans, c'est son père qui l'a obligé à être préfet.
Il deviendra marchand d'art de premier plan, ouvre des galeries à Paris et à l'étranger, devient le marchand officiel de Dubuffet.Quand ce sera fini, je vous emmènerai au Prado ( NDL : musée de Madrid ) et vous verrez ce que c'est que la peinture. Et j'y suis allé, je ne connaissais pas la peinture mais j'ai trouvé que c'était miraculeux.
Une infaillible fidélité à Jean Moulin
Un vie tournée vers l'art mais en 1977, ses années de résistance ressurgissent. Il sort de son silence lorsqu'un livre décrit Jean Moulin comme un agent soviétique. Ce livre, c'est " L'énigme Jean Moulin " d'Henri Frenay. Daniel Cordier ne peut laisse passer ça.
Le voilà qui se lance dans l'exploration méthodique de documents., un immense travail sur les archives. Lui le marchand d'art se fait historien-témoin de cette période pour son premier livre, une colossale biographie de Jean Moulin, "Jean Moulin. L’Inconnu du Panthéon"C'est du mensonge, ce n'est pas vrai. C'est ce qui m'a obligé à écrire ce livre. On me dit "l'historien c'est toi, il n'y a que toi qui peut faire ce livre sur Jean Moulin".
"Avoir été antisémite tout d'un coup, j'ai eu le sentiment que c'était un crime"
Il revient aussi avec sincérité sur son antisémitisme de jeunesse qu'il a fini par combattre. Il raconte la première fois qu'il a vu un homme portant une étoile jaune. C'était à Paris en 1943:Un homme et son fils avec l'énorme pancarte "juif ". Là... ces hommes... ce père et son fils qui étaient des Français comme moi comme nous tous...
Quand je me souviens de ça j'ai envie de les embrasser tous les deux. J'ai les larmes aux yeux, ça a été le plus grand choc de ma vie. Avoir été antisémite tout d'un coup, j'ai eu le sentiment que c'était un crime, que c'était horrible!
Toute sa vie, Daniel Cordier a été fidèle à la mémoire de Jean Moulin, celui qui lui a ouvert les yeux.
Cette figure de la France Libre a toujours refusé la fatalité: "Il n'y a pas de vie qui ne soit pas libre" répète-t-il. Un message d'espoir et de courage transmis par Daniel Cordier.Le hasard m'a donné une toute autre vie, mais je ne regrette pas. Si c'était à recommencer, je referais exactement pareil tout ce que j'ai fait. La première chose dans la vie c'est d'être libre.
C'est difficile, il faut se battre pour être libre.
Vous pouvez découvrir l'intégralité de son témoignage émouvant recueilli par Marie-Pierre d'Abrigeon et Didier Bonnet, Nicolas Titonel Dimanche 13 mai à 11 h 25 sur France 3 Aquitaine :